Vingtième et dernière (moitié de) semaine : 30 août - 2 septembre
Ce matin je me réveille à la maison, le vélo est attaché dans le parking, mes vêtements sont propres, je n’ai pas besoin d’enfiler mon cuissard au réveil… Difficile de réaliser que l’aventure est terminée, qu’il n’y aura ni entretien, ni rencontres, ni découvertes aujourd’hui… Simplement des souvenirs, par milliers, se mêlent dans ma tête, et ces moments exceptionnels, je les chérirai toute ma vie. Je vous raconte ces quatre derniers jours qui ont clôt À portée de roue.
Entre Bourgogne et Champagne jusqu’à la tour Eiffel
La Seine n’est qu’une petite rivière lorsque je démarre de Châtillon-sur-Seine lundi matin. L’étape est relativement courte mais intéressante : je passe de la Bourgogne à la Champagne, et j’apprends que les côteaux de Seine, à partir du département de l’Aube, sont des terres de production du champagne. J’apprendrai plus tard à Troyes que c’est la révolte des vignerons aubois en 1910-1911 qui a abouti à la reconnaissance de l’appellation Champagne pour le vignoble aubois en 1927. La Seine grossit petit à petit jusqu’à Troyes, qui possède un centre-ville médiéval incroyable.
Le lendemain, je longe la Seine jusqu’à sa confluence avec l’Aube (la rivière) qui la fait grossir d’un coup et lui donner l’allure du fleuve tel qu’il s’étend dans Paris. Je grimpe ensuite une belle côte au milieu du vignoble pour atteindre la Brie (et non pas le Brie comme le fromage par ailleurs délicieux produit dans cette région) qui s’étale en d’immenses champs parfois un peu vides. C’est d’ailleurs peu après mon entrée dans l’Aisne que je célèbre le passage de la barre des 10 000 kilomètres, face à un champ un peu morne et des vaches qui ne montrent pas un grand enthousiasme… J’atteints de bonne heure Château-Thierry, dernière étape avant l’arrivée.
Mercredi 1er septembre : Victor me rejoint dès Château-Thierry, et nous sillonnons les jolies berges de la Marne jusqu’à Meaux. Après une longue pause (la faute à un entretien annulé au dernier moment), nous sommes rejoints par mon père, puis trois amis Axel, Alex et Tanguy, en tenue de combat pour affronter les derniers kilomètres le long du canal de l’Ourcq. La balade est agréable, nous prenons bien notre temps, je veux savourer ces derniers instants. La fin d’après-midi est là quand nous entrons dans Paris, rejoints au Parc de la Villette par d’autres camarades (Aurélien, Antoine, Charles, Marie-Léa puis Gauthier et Lancelot). Mon cœur se serre, je ne sais pas vraiment ce que je ressens mais un mélange de fierté, de soulagement, de nostalgie déjà, au milieu des pots d’échappement et de la circulation difficile en pleine heure de pointe.
19h30 : dernier virage et la ligne d’arrivée est franchie au pied de la tour Eiffel avec un comité d’accueil exceptionnel (merci à vous du fond du cœur !!). Et voilà comment s’est terminée cette belle aventure.
Le récap’ des entretiens
Les deux derniers entretiens !
J’ai rencontré à Troyes Gérard Menuel, député de la troisième circonscription de l’Aube, qui m’a parlé de la progressive déconnexion du terrain des députés depuis la loi de non-cumul (il sent bien à titre personnel qu’il est de moins en moins au courant de ce qu’il se passe dans sa circonscription depuis qu’il n’est plus adjoint à Troyes), mais aussi des caractéristiques économiques d’un territoire assez peu touché par la crise du Covid sur le plan économique (car très agricole) mais qui a beaucoup souffert avec la perte de 20 000 emplois liés au textile suite aux délocalisations des années 1970 à 1990 (il ne reste que quelques 5000 emplois sur le territoire).
A Provins, j’ai réalisé mon premier et seul entretien en chemise, le lendemain de mon arrivée à Paris (j’ai triché en prenant le train), avec Olivier Navenka, maire de Provins et vice-président du conseil départemental de Seine-et-Marne. Un échange passionnant sur les spécificités de cette ville de seulement 12 000 habitants dont le rayonnement est bien supérieur à sa taille et qui veut conserver son côté “ville de province” (Provins était la capitale des comtes de Champagne avec une frontière à l’ouest de la ville avant le rattachement au royaume de France sous Philippe le Bel), mais aussi sur l’importance du cumul du mandat pour avoir un ancrage territorial.
Les chiffres d’À portée de roue
Voici la carte de l’itinéraire parcouru : 105 jours à vélo - 10 123km - 78 000m de D+ - 31 jours de pause.
L’objectif de passer par tous les départements de France métropolitaine est donc rempli. Je suis même passé deux fois dans quelques départements :
Bouches-du-Rhône (deux arrêts à Arles)
Allier (à Montluçon fin avril puis Moulins fin août)
Côte-d’Or (à Dijon mi-juillet puis Châtillon-sur-Seine fin août)
Aisne (à Saint-Quentin où j’ai cassé ma jante arrière mi-juillet puis à Château-Thierry où j’ai passé la barre des 10 000km fin août)
Pour l’ensemble de la mission À portée de roue, j’ai mené au total 96 entretiens avec 121 élus et acteurs locaux (notamment 57 élus municipaux dont 17 maires, 23 élus départementaux dont 10 président, 19 parlementaires, 3 préfets, 6 sous-préfets, 1 ministre) dans 80 départements différents. Ça fait une belle galerie de photos officielles (souvent avec mon beau pull bleu qui a vu du pays !).
Je n’ai malheureusement pas eu de contact dans 16 départements (Eure-et-Loir, Aveyron, Aude, Pyrénées-Orientales, Lot, Tarn-et-Garonne, Oise, Nord, Haute-Saône, Vosges, Savoie, Var, Corse-du-Sud, Vaucluse, Ardèche et Nièvre), en plus des 5 départements d’outre-mer.
FAQ
Merci pour les questions que vous m’avez posées la semaine dernière ! J’essaye d’y répondre ici :
“Combien de crevaisons ?”
Une seule lors des deux premiers mois et demi, puis beaucoup trop (5-6 ?) à cause des chemins de terre et des pavés dans le Nord et d’une nouvelle roue défectueuse avec des rayons qui sautaient les uns après les autres. Cela a conduit à une situation un peu précaire au milieu des montagnes corses où j’ai du rouler près de 100 kilomètres avec un pneu avant qui se dégonflait et deux rayons de ma roue arrière cassés (donc une roue très voilée).
Quelle est l’anecdote, l’événement qui restera comme le fait marquant de ces semaines de vélo - rencontre ?”
Probablement ma rencontre lunaire avec François à La Roche-sur-Yon. Sans solution d’hébergement, je finis par installer mon hamac sur un terrain de foot lorsqu’un homme m’aborde et me propose gentiment de m’héberger, constatant ma détresse. François vit reclus chez lui depuis près de 3 ans, passant la plus claire partie de son temps à méditer et “voyager intérieurement”. S’ensuit une discussion aussi passionnante qu’étrange sur la découverte de soi-même, la méditation, la surconsommation, la simplicité du bonheur, l’hypersensibilité, etc. Un homme d’une extrême gentillesse qui m’a marqué.
“Ton plus beau village / plus belle ville ?”
Peut-être Eguisheim en Alsace, le centre-ville d’Albi, ou Pont-Aven.
“Je m'interrogeais à propos des hébergements. Comment logeais-tu le soir ? En frappant chez l'habitant au pieds levé ? En organisant en amont tes nuits ?”
Je m’étais organisé pour dormir chez l’habitant presque tous les jours, en grande partie grâce au groupe Facebook '“Héberge un Cyclo-Voyageur”. J’ai aussi profité de ce voyage pour rendre visite à toute ma famille partout en France. J’ai passé quelques nuits en bivouac dans mon hamac (pas avant août néanmoins à cause de la pluie) ou à l’hôtel, et enfin quelques nuits chez des personnes rencontrées le jour même (certaines avaient vu l’émission “J’irai dormir chez vous” ou “Nus et culottés” ce qui les avaient poussé à me proposer de m’héberger). Je peux dire que toutes ces rencontres forment la grande richesse de ce voyage !
“La nuit la + en galère ?”
J’hésite entre deux nuits. Celle à Charleville-Mézières, où je ne trouve aucun hébergement et où les hôtels sont fermés : avec un compagnon d’infortune cyclovoyageur hollandais, nous passerons finalement la nuit sur le plancher d’une caravane dans un terrain vague en bordure de la ville et à côté d’un barrage sur la Meuse. Celle à Paray-le-Monial : en bivouac dans mon hamac à côté du canal du Nivernais, il suffit d’une pluie légère de 9 minutes au milieu de la nuit pour ruiner toute tentative de trouver le sommeil sans possibilité de séchage.
“Le rythme serré de ce voyage (entre pédalage, organisation des rencontres et suivi de tes interviews /communication) t’a-t-il donné malgré tout le temps de la contemplation, de vivre cette parenthèse a un rythme plus doux que le quotidien parfois effréné de nos vies ?”
C’est vrai que ce voyage était “millimétré”, avec un calendrier à tenir chaque jour. Je n’avais pas la liberté de m’arrêter si je le voulais plus longtemps que prévu dans un lieu, et à deux reprises j’ai dû prendre le train, trop fatigué pour rouler, car je devais être à l’heure pour l’entretien suivant. Un grand changement par rapport à des précédents voyages où j’avais carte blanche ! Malgré tout, je pense avoir vécu à un rythme un peu plus doux, notamment en prenant le temps de la discussion presque tous les soirs, et en faisant de longues pauses chaque jour face à de beaux paysages ou sous un abris précaire en temps de pluie, sortant mon ukulélé ou mon carnet de notes.
“Serait-il possible d'avoir un lien pour lire le rapport (mémoire) final, une fois réalisé, à condition bien sûr qu'il soit rendu public.”
Bien sûr ! Ce sera le chantier de ces prochaines semaines. Rédiger la synthèse de tous ces entretiens, et pourquoi pas m’attaquer à écrire un petit livre sur le voyage en lui-même et surtout les rencontres avec les habitants.
“Le besoin exprimé par les territoires le plus récurrent ?”
Davantage de confiance et d’autonomie. C’est cette rupture du lien de confiance entre les collectivités territoriales et l’État qui m’a le plus frappé au cours de tous mes entretiens.
“Je voulais juste savoir les raisons de ton changement de vélo et avoir ton avis sur ton farrhad. Nous devons partir en voyage en famille et nous avons des montures allemandes. Nous te souhaitons une bonne route et un agréable fin de voyage.”
Je suis parti avec un vélo Ortler modèle Bergerac de 2019, robuste et performant, même si j’ai dû changer deux fois de roue arrière, deux fois de chaîne (ce qui est normal pour le coup). Un très bon vélo, je repartirais facilement avec le même, y compris après ces milliers de kilomètres parcourus. Bon voyage et belle aventure en famille !
“pk t ossi bg”
^^
Et voilà, l’aventure est terminée, merci à tous de l’avoie suivie, de m’avoir supporté pendant 23 longues semaines, de m’avoir envoyé des mots d’encouragement.
À portée de roue ne s’arrête pas pour autant : je vous tiendrai informés des prochaines étapes et de la suite donnée à ce voyage !
A très vite,
Bosco